Genèse et structures de la métaphysique classique
Cours dispensé au Q2 2022-23 par le Prof. Jacob Schmutz (en alternance avec le Prof. Olivier Depré en 2023-24)
"Métaphysique" est un terme qui fait peur: Kant déjà avait déclaré que la métaphysique, ou "philosophie transcendantale des Anciens", était révolue. Depuis cinquante ans, on n'a cessé d'affirmer que nous serions dans un "âge post-métaphysique" (Jürgen Habermas); durant l'entre-deux-guerre, et dans des camps politiquement totalement opposés, Carnap comme Heidegger ont quant à eux appelé à la nécessité d'un "dépassement de la métaphysique". Aujourd'hui, par contre, on voit partout refleurir l'expression de "métaphysique", cette fois-ci remise au goût du jour analytique, surtout dans le monde anglo-saxon: "metaphysics of properties", "metaphysics of nature", etc.
Qu'est-ce que l'histoire de la philosophie peut nous enseigner sur l'usage de ce mot, et sur la réalité de cette discipline qui fut longtemps la reine de l'enseignement universitaire - en particulier à Louvain à l'époque du néo-thomisme triomphant du Cardinal Mercier (1851-1926), lorsque tous les étudiants étaient obligés de valider des cours d'ontologie, de métaphysique générale et de métaphysique spéciale? Dans ce cours, je voudrais reprendre à zéro l'histoire de ce mot "fantôme" qu'est la métaphysique : fantôme, parce qu'inventé par un obscur bibliothécaire, Andronique de Rhodes, pour classifier des ouvrages d'Aristote dont il ne savait que faire. La constitution de la métaphysique comme une science spécifique fut largement un acquis byzantin et arabe, avant de devenir latin : nous allons donc expliquer comment dans la division des sciences tardo-antiques, est apparu le concept même de "métaphysique" comme une discipline à part, qui a toujours eu du mal à se justifier face à la logique d'une part, à la physique d'autre part. Nous étudierons ensuite ses diverses transformations dans le monde arabophone (Al-Farabi, Avicenne, Averroès) et latinophone (Thomas d'Aquin, Jean Duns Scot, Jean Buridan, Dominique de Flandres, Francisco Suarez). Nous serons particulièrement attentifs aux différents moment de tension: tout au long de l'histoire, il y a eu de multiples moments où la métaphysique semblait en fait une science inutile, pouvant être résorbée dans une théorie du langage (Averroès, Guillaume d'Ockham) ou dans la théologie (Al-Kindi, Maïmonide, et bien des néoplatoniciens arabes et latins). Nous verrons enfin comment la métaphysique est comprise à l'époque moderne: nous déconstruirons le monument classique que sont les Disputationes metaphysicae du jésuite espagnol Francisco Suarez, et essaierons de comprendre comment la métaphysique a fini par s'abîmer en une vague psychologie durant les Lumières.