Dans ce cours, l’étudiant.e est initié.e à l’un des paradigmes fondateurs de la sociologie : l’écologie humaine, telle que développée par les sociologues de Chicago dans les années 1920, notamment dans l’ouvrage classique de R.E. Park et E. Burgess, The City (1925). Avant de mener des enquêtes ethnographiques exigeantes qui ont fait sa réputation, l’École de Chicago pose en effet une épistémologie originale pour l’étude scientifique des rapports humains : l’écologie. Tout comme l’écologie qui se développe à la fin du 19ème siècle dans les sciences naturelles s’attache à étudier les interrelations et interdépendances des espèces animales ou végétales via leur biotope, les auteurs de Chicago proposent d’étudier les rapports entre populations humaines modernes dans leur « habitat naturel » typique, c’est-à-dire la métropole industrielle. Écologie humaine et sociologie sont pour eux synonymes : l’objet de cette dernière est alors de décrire, comprendre et expliquer des interactions triangulaires se jouant entre deux populations via un troisième terme médiateur : leur milieu urbain commun, qu’à la fois elles se partagent et se disputent. Park et ses collègues se donnent pour cela des concepts socio-spatiaux comme ceux de symbiose, concentration, centralisation, dominance, invasion, succession, etc. 

Un siècle plus tard, quels sont les apports de l’École de Chicago des débuts à l’écologie urbaine contemporaine? Quelles en sont par ailleurs les limites et sur quels plans doit-elle être à la fois critiquée, prolongée? Ces questions ont motivé un ouvrage collectif récent, co-dirigé par l’enseignant (D. Cefaï, M. Berger, L. Carlier, O. Gaudin (dir.), 2022, Écologie humaine : une science sociale des milieux de vie, Paris, Creaphis), qui représentera une lecture commune pour les étudiant.e.s. Dans les limites de ce cours, deux axes complémentaires à l’écologie humaine seront explorés : celui de l’écologie matérielle, celui de l’écologie de l’expérience. La ville de Chicago restera notre ville de référence pour ces explorations.

Le premier de ces axes complémentaires semble aujourd’hui particulièrement évident : la question du cadre naturel et bâti, du territoire urbain comme ressource (sur-)exploitée a pourtant été largement ignoré par les chercheurs de l’École de Chicago. Ces derniers ont compris l’environnement urbain des citadins essentiellement comme un environnement lui-même humain, social, et ont négligé l’environnement physique, biologique, infrastructurel, architectural. On voit difficilement comment une écologie urbaine contemporaine pourrait continuer de se passer de cette articulation entre ces dimensions humaine et matérielle. Or nous disposons de deux oeuvres importantes sur l’écologie matérielle de l’urbanisation de Chicago, d’un côté, et sur la spécifité de son cadre bâti et de sa morphologie urbanistique, de l’autre. Le premier ouvrage majeur, Nature’s Metropolis de William Cronon (1991), nous montre comment une métropole comme Chicago résulte d’un assemblage complexe entre ville et nature, entre une agglomération urbanisée et son arrière-pays agricole, exploité pour son bois, ses céréales, sa viande, son eau, etc. Le second ouvrage clé, Chicago, 1910-1930 : Le chantier d’une ville moderne de Jean Castex (2010), revient sur les conditions matérielles de l’urbanisation, depuis sa planification et sa conception par les architectes et urbanistes, à son développement immobilier, en passant par la réalisation de titanesques travaux d’infrastructures.

L’autre limite de l’écologie humaine des débuts tient à une carence phénoménologique et psychologique : la théorie de l’organisation spatiale de la communauté urbaine, conçue par analogie avec l’écologie animale et végétale, sous-estime les questions de la perception de l’environnement urbain et de l’expérience du milieu de vie. Si cette dimension expérientielle est requise, ce n’est pas pour réduire la sociologie de la ville à une pyschologie du citadin, mais parce que cette appréhension subjective de mondes urbains est constitutive de milieux de vie et participe à la fabrique de la ville. A partir d’une introduction à la psychologie d’inspiration phénoménologique et d’une présentation de ses principaux concepts (« Umwelt », « Life space », « Behavior Setting », « Affordance », « Atmosphere »), nous relirons sous cet angle quelques-unes des ethnographies classiques et contemporaines de Chicago, dans lesquels différents quartiers sont saisis en tant que milieu de vie, et nous nous essayerons à une nouvelle cartographie de ces lieux, fondée sur une écologie de l’expérience.